Brésil : une élection imprévisible, mais déjà de nombreuses victoires

27/09/2018
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Photos : Maira Gomes
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Il y a certaines causes que l’on pense perdues d’avance. Certaines pour lesquelles on se dit qu’il ne sert à rien de s’engager. Et puis tout d’un coup, entraîné par le grand élan populaire qui a déjà pris les devants, on se rend compte que oui, il est possible d’espérer.

 

Lorsqu’après l’emprisonnement de Lula en avril dernier, le Parti des travailleurs (PT) a décidé qu’il défendrait jusqu’au bout sa candidature, affirmant que cette stratégie serait gagnante, nombreux ont été à gauche à douter de ce pari. Non pas douter des illégalités avérées du procès et de son droit à être candidat, mais au vu du colossal investissement de l’oligarchie brésilienne pour anéantir l’ex-président, la perspective d’une issue était quasi impossible à envisager.

 

Assurées de l’aval de la population depuis la destitution de Dilma Rousseff en 2016, les forces politiques, judiciaires et médiatiques qui ont pris d’assaut le pays avec le coup d’État tablaient sur un scénario plausible : Lula en prison, privé de son pouvoir de parole, humilié par une sur-condamnation en deuxième instance, diabolisé par un matraquage médiatique quotidien, finirait par perdre petit à petit de sa popularité et l’on n’endenterait plus parler de lui.

 

Lula, un projet politique que le Brésil est toujours prêt à défendre

 

Et c’est bien l’inverse qui s’est produit. Après presque six mois hors de la scène politique, les intentions de vote pour Lula n’ont fait que progresser pour atteindre, fin août, jusqu’à 39 % au premier tour et lui garantir l’assurance d’être élu au second tour dans tous les scénarii. Dans un pays laminé par la crise économique, le chômage, la réduction des dépenses publiques, la destruction de l’État de droit, la recrudescence des assassinats politiques, ce résultat est loin d’être anodin.

 

Alors que les manifestations de rue contre le coup d’État se sont progressivement clairsemées et que l’alternative du candidat d’extrême-droite Jaïr Bolsonaro séduit aujourd’hui près d’un quart de la population, le regain de popularité de l’ancien président n’avait rien d’assuré. Rappelons qu’il hérite tout de même du bilan économique controversé de Dilma Rousseff et d’un bashing médiatique qui l’a qualifié pendant deux ans d’analphabète, d’ouvrier ignare ou de honte nationale.

 

Malgré ces violents revers, la possibilité que le peuple brésilien continue de voir en la personne de Lula la meilleure issue pour le pays, et donc de légitimer le projet politique et social qu’il a incarné de 2002 à 2010, est déjà une très grande victoire. Elle pourrait peut-être ne pas être suffisante pour porter à nouveau ce projet à la tête de l’exécutif, mais elle montre que la redistribution sociale, la valorisation des droits humains, la démocratisation de l’enseignement supérieur ou encore la participation citoyenne sont des enjeux politiques que la société brésilienne est toujours prête à défendre.

 

Le fracas du coup d’État dans les urnes

 

De cette première victoire en découle une deuxième. Avec un taux de soutien de 2,7 %, le gouvernement Temer se meurt, exsangue, entre les scandales de corruption à la tête de l’État, deux demandes de destitution sauvées par la complaisance du Congrès et la cuisante défaite de la réforme des retraites qui n’a finalement pas été adoptée par des députés déjà en campagne, préférant sauver (ce qu’il reste de) leur honneur pour tenter une réélection. Fort de ce constat, le candidat du gouvernement aux élections présidentielles, le banquier Henrique Meirelles (Mouvement démocratique brésilien, MDB, centre droit) crédité de 3 % des intentions de vote, préfère se faire valoir de ses années dorées à la tête de la banque centrale sous le gouvernement Lula, plutôt que de rappeler aux électeurs qu’il vient de quitter le ministère des finances de Temer.

 

De même, Geraldo Alkmin, (Parti de la social-démocratie brésilienne, PSDB, droite) autre transfuge du coup d’État, successeur d’Aécio Neves, battu par Dilma Rousseff en 2014, se targue d’être d’opposition alors qu’il est soutenu par la totalité des partis qui composent l’actuelle majorité gouvernementale (appelée le centrão). Par la législation électorale, cette enfilade d’étiquettes à son profit lui permet d’avoir 40 fois plus de temps de propagande audiovisuelle que Jaïr Bolsonaro, mais son score ne dépasse toujours pas la barre des 10 %. Alors qu’il tentait tant bien que mal de prendre ses distances avec le gouvernement Temer pour dynamiser sa campagne, ce dernier l’a rappelé à l’ordre dans deux vidéos ubuesques sur les réseaux sociaux, où il insiste sur les liens intrinsèques de son parti avec l’actuel gouvernement.

 

Alors que la destitution de Dilma Rousseff en 2016 a été mise en scène comme le remède à tous les maux du pays, le score ridicule de Meirelles et Alckmin dans les sondages prouve que le projet néolibéral porté par Temer ne pouvait être mis en œuvre que par l’entremise d’une intervention institutionnelle, contre la volonté populaire. Dans cette campagne où tout semble possible, il est bien-sûr encore tôt pour savoir si un revirement de dernière minute viendra altérer cette configuration. Bien que Bolsonaro – en tête de liste depuis l’annulation de la candidature de Lula – représente pour de nombreux électeurs une alternative à la situation actuelle, il devrait, si élu, continuer et même aggraver le programme initié par Temer. Mais venant d’une droite bien plus radicale que celle du gouvernement actuel, il ne peut pas non plus être considéré comme un des architectes du coup d’État.

 

Des voix à l’international pour révéler la vérité

 

Dernier point incontournable de cette période, la multiplication des voix à l’étranger qui se sont élevées pour dénoncer l’injustice subie par Lula. La mobilisation de l’opinion internationale n’est pas une tâche facile notamment lorsqu’il s’agit d’un procès à caractère national impliquant une juridiction spécifique. Depuis 2016, le Parti des travailleurs et les avocats de Lula s’appliquaient à communiquer vers l’extérieur sans grand succès. Même la destitution de Dilma Rousseff n’a suscité que trop peu de déclarations à l’exception des partis et figures politiques de gauche.

 

Mais avec la multiplication des exactions judiciaires et l’échéance électorale approchant, la situation a pris une autre tournure. D’abord une couverture médiatique particulièrement suivie par les journaux occidentaux, Le Monde, New York Times, etc. Puis, en mai, une tribune cosignée par six anciens présidents européens, dont François Hollande, revient sur la destitution illégitime de Rousseff et le droit de Lula à être candidat. Vient ensuite en juillet une lettre de 29 parlementaires étatsuniens, mais aussi le message du pape, la visite de l’ancien président du Parlement européen Martin Schulz, une autre lettre cosignée par 38 parlementaires français et d’autres interventions de personnalités politiques, comme celle de Dominique De Villepin, ancien ministre des affaires étrangères sous Chirac qui a fait récemment le déplacement au Brésil.

 

Et enfin, la déclaration du Comité des droits de l’homme des Nations unies qui publie le 17 août dernier une résolution demandant que Lula puisse concourir aux élections et avoir accès à la presse et à son parti, même depuis sa cellule. La déclaration indique bien que le comité n’a pas encore terminé d’analyser l’objet et le déroulé du procès, mais dans la mesure où tous les recours de l’ancien président ne sont pas épuisés, cette mesure provisoire vise à prévenir les résultats irréversibles que causerait l’absence de Lula dans le scrutin. Il s’agit d’une demande à effet immédiat et contraignant puisque cette résolution s’applique sur le pacte international relatif aux droits civils et politiques que le Brésil a ratifié.

 

Avec des prises de parole qui montent toujours plus haut dans les sphères de responsabilité, c’est ainsi la confirmation d’une certaine forme de vérité autour de l’injustice en cours. Il faut en effet avoir à l’esprit que depuis le coup d’État, et avec la méga-enquête judiciaire Lava Jato, le Brésil est plongé un état de lawfare, qui consiste à organiser un affrontement en utilisant les ressources de la loi. Il est donc très difficile de comprendre les enjeux à l’œuvre puisqu’ils sont en apparence légaux. Seuls des juristes experts seraient ainsi en mesure d’analyser si la loi est appliquée correctement ou non. Et en conséquence, les incertains auraient donc davantage tendance à vouloir se taire.

 

Cette vérité qui émerge à la face du monde portée par des voix qui résonnent haut et loin, montre qu’un voile s’est levé sur l’impunité pratiquée par les acteurs du coup d’Etat. Le premier tour de ces élections se rapproche et la confirmation de l’inéligibilité de Lula est un coup très dur pour le PT face à l’extrême droite qui est maintenant favorite dans les sondages. Indépendamment du résultat, la longue lutte que toute la gauche brésilienne a affrontée depuis le début de l’année aura marqué profondément les esprits et réussi à ébranler l’ordre établi en posant les marques d’une réelle force de résistance

 

- Florence Poznanski est politologue et activiste au Brésil

 

24 septembre 2018

http://www.medelu.org/Bresil-une-election-imprevisible

 

https://www.alainet.org/fr/articulo/195579
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