Le Brésil à l'approche des élections

« Une nouvelle conception de la politique »

10/09/2018
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Presentacion de la candidatura presidencial de Guilherme Boulos
Foto: Rovena Rosa
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Entretien avec Guilherme Boulos, dirigeant du mouvement des "Sans Toit"

 

Depuis août 2016, le Brésil vit l'un des moments les plus complexes de son histoire contemporaine. Quelques semaines avant les élections présidentielles du 7 octobre prochain, la question essentielle est de savoir si le processus électoral parviendra à débloquer la situation très délicate vécue par ce pays sud-américain. C'est le thème principal que nous avons évoqué avec Guilherme Boulos, membre de la Coordination Nationale du Mouvement des Travailleurs Sans Toit (MTST), l'un des acteurs sociaux urbains les plus dynamiques du pays. à 36 ans, licencié en philosophie et en sciences humaines, titulaire d'une maîtrise en psychiatrie, Guilherme Boulos a déjà une longue carrière de seize ans de militantisme dans cette organisation sociale. En mars dernier, ce jeune dirigeant social a été désigné candidat à la présidence du Brésil par le Parti Socialisme et Liberté (PSOL), fondé en 2004. Jusqu'à aujourd'hui, ce parti a obtenu des résultats très variables, quoique toujours minoritaires, lors des trois élections auxquelles il a participé. Entretien exclusif avec Guilherme Boulos par téléphone, depuis la Suisse.

 

Question : Quel est le plus grand dilemme auquel le Brésil est confronté ?

 

Guilherme Boulos (GB) : Engager le pays sur une voie démocratique, à une époque de revers importants. Sur le plan social, par exemple, le gouvernement de Michel Temer a mis en œuvre un programme antipopulaire qui n'a été ni voté, ni approuvé par le peuple. Ce programme viole le cadre constitutionnel en bloquant et en réduisant la capacité de l'État à financer des services de base universels tels que la santé et l'éducation. Cette régression fait partie du coup d'état institutionnel qui a eu lieu au Brésil en avril 2016 (ndr : le parlement a voté la destitution de la présidente Dilma Rousseff). Cela signifie un recul démocratique clair.

 

C'est pourquoi nous affirmons que nous vivons la pire crise démocratique, depuis la fin de la dictature en 1985. Elle s'exprime à de nombreux niveaux institutionnels. Parmi eux, l'augmentation de la haine et de la violence politique qui s'est manifestée, par exemple, en mars dernier, avec l'assassinat de notre collègue et militante Marielle Franco, à Rio de Janeiro. Il s'agissait d'une exécution politique, non encore clarifiée aujourd'hui.

 

Cette régression se manifeste également dans la militarisation de la société et dans l'émergence, en politique, d'instances et de mécanismes judiciaires pour poursuivre les secteurs progressistes. Par exemple, l'emprisonnement arbitraire de l'ancien président, Luiz Inácio Lula da Silva, depuis avril de cette année, sur la base d'une accusation sans preuves. Il s'agit d'une expression claire de la manière dont même le pouvoir judiciaire exerce une pression sur la démocratie électorale. Nous pourrions donner beaucoup d'autres aperçus de la crise profonde de la démocratie au Brésil. Cependant, il me semble essentiel de ne pas oublier un problème fondamental : la criminalisation croissante des mouvements sociaux. Une étude de la Pastorale de la Terre de l'Église catholique indique qu'en 2017, il y a eu 70 meurtres dus à des conflits fonciers, le nombre le plus élevé de ces 14 dernières années.

 

Q : Dans cette situation si complexe, les élections du 7 octobre peuvent-elles vraiment débloquer cette crise politique ?

 

GB : Les élections peuvent aider à défaire le coup d'Etat et c'est pourquoi je suis candidat. Nous comprenons ces élections comme une première bataille pour combattre le projet de Temer, des grandes banques, de la puissance financière. La campagne électorale sera une occasion d'aborder ces enjeux. Par exemple, au Brésil, il y a plus de 6 millions de familles sans toit et un nombre encore plus grand de propriétés inoccupées. C'est scandaleux.

 

Q : J'insiste. Vous décrivez les effets antidémocratiques et antisociaux du gouvernement Temer. Les prochaines élections peuvent-elles marquer le début d'une période de récupération de la démocratie ?

 

GB : Je pense que oui, bien que nous soyons conscients que, si le processus électoral est important, ce n'est pas suffisant. Nous avons besoin de changements institutionnels profonds qui ne pourront être réalisés que grâce à la mobilisation de la société. Les élections ne suffisent pas si le parlement reste aux mains de l'oligarchie et du pouvoir économique. Un renouvellement est nécessaire, non seulement à la Présidence de la nation, mais aussi au Congrès national et dans les institutions en général. Pour cela, la mobilisation citoyenne sera essentielle. En général, les changements s'opèrent de l'extérieur des institutions politiques vers l'intérieur, de la base vers le haut.

 

Q : Vous êtes membre de la Coordination Nationale du Mouvement des Travailleurs Sans Toit et aussi du Front Peuple Sans Peur. En parallèle, vous vous présentez à la présidence pour un parti politique, le PSOL. Cela implique-t-il une vision différente de comprendre et de faire la politique au Brésil ? Cela signifie-t-il un changement de paradigme dans la relation entre mouvements sociaux et partis politiques ?

 

GB : Certainement. Nous construisons une alliance innovante entre politique et mouvements sociaux. Elle est composée de mouvements féministes, du mouvement noir, du LGBT, d'artistes, d'intellectuels, etc. Une alliance du bas vers le haut, qui ne remet pas en cause l'autonomie du mouvement social.

 

C'est quelque chose d'inédit dans la politique brésilienne, du moins dans cette dernière période. Mon histoire militante depuis plus de seize ans, depuis ma jeunesse, s'est développée au sein du MTST et, avant de prendre la décision de ma candidature, nous avons eu un large et minutieux débat interne.

 

Sônia Guajajara, une dirigeante indigène bien connue, est candidate à la vice-présidence.

 

Notre proposition implique un renouvellement, une oxygénation de la gauche et du camp progressiste. Avec un programme clair, basé sur la lutte contre les inégalités sociales. Nous fermons un cycle au Brésil et nous ressentons très fortement la demande, le cri pour un renouvellement des pratiques, des principes, de la manière de concevoir et de faire de la politique. Nous voulons commencer à concevoir un projet pour la prochaine génération.

 

Q : Cette proposition implique-t-elle également une critique des treize années de gouvernement du Parti des travailleurs (2003-2016) ? Nombreux sont ceux qui ont fait remarquer que l'un des problèmes du PT fut son éloignement des mouvements sociaux...

 

GB : Oui, elle exprime une critique directe. Nous avons une relation responsable avec le PT. Nous reconnaissons les progrès sociaux durant son mandat ainsi que l'augmentation des revenus des plus pauvres, ce qui est important. Mais nous avons aussi constaté qu'il y avait des problèmes. Par exemple, les alliances politiques avec les partis traditionnels et non avec la majorité de la société et des mouvements sociaux. Il n’a pas non plus eu recours à des mécanismes de démocratie directe comme le plébiscite, qui existe pourtant dans la Constitution nationale. Notre projet est basé sur l'innovation et la rénovation. La population doit être constamment consultée.

 

Q : En septembre prochain, en Suisse, aura lieu toute une campagne d'information sur la situation actuelle au Brésil, les points de vue des mouvements sociaux et les défis électoraux. Quelle est votre vision du travail d'information à l'étranger et de la solidarité internationale ?

 

GB : À l'heure où les canaux démocratiques se ferment, la solidarité internationale est plus que jamais vitale. Dans une conjoncture où les acteurs et les mouvements sociaux sont criminalisés et n'ont personne vers qui se tourner, il est très important de pouvoir dénoncer à l'extérieur les abus de pouvoir. Et faire pression sur les gouvernements pour qu'ils adaptent leurs pratiques.

 

Des relations étroites entre les peuples sont toujours essentielles, de même qu'une solidarité active entre les mouvements sociaux et les acteurs au niveau international.

 

 

(Traduction Rosemarie Fournier)

 

 

https://www.alainet.org/fr/articulo/195215
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